Yang Ah In ☾ le corps, le traitre.

Hey toi ! Où tu vas assis sur cette digue ? Le regard abîmé essuyant l’horizon bleu que t’offrent la mer et les cieux ? Dis-nous où tu vas, aussi fixe sois-tu, alors que ton palpitant s’est fait lâchement écrasé par ton désarroi. T’es perdu dans l’entre-deux mais tu n’es pourtant pas près de la porte mortelle, celle qui t’offrirait alors le noir total, la trace du néant. Tu n’oses séparer tes paupières, de peur que le blanc éclatant fasse dérailler tes rétines. Tu la sens, cette odeur d’infection désinfectée, tout autour de toi, alors que les vagues puissantes déferlent contre l’immensité de la roche, du sable ou de la peau humaine. Tu es dans un rêve, tu en as conscience, et c’est bien même pour cela que tu n’oses te réveiller. Force-toi, force-toi à reprendre ta vie en main. Ce n’est pas la mer à boire. Et pourtant tu t’en fais des tasses. Tu n’arrêtes pas, et tu recraches le salé de l’eau en suffoquant, parce que tu préfères le poivre, parce que tu préfères ce que tu avais avant. Finalement, tout s’efface, tu ouvres les yeux, le blanc éclatant explose tes pupilles et les blouses blanches sans bouche te regardent indifféremment, se fondent au décor… blanc.

T’as encore mal à l’épaule parfois, elle te tire, te lance, elle te fait comprendre que tu as encore abusé, que tu n’aurais pas du trop forcé. Mais que peux-tu y faire maintenant ? Le sport, c’est le meilleur moyen de te défouler, tu ne peux t’y empêcher. Et tu l’emmerdes cette épaule, tu la maudis aussi fort que tu le peux, et ce, même si elle fait partie de toi. A cause d’elle, tes rêves sont fichus, ton avenir anéanti, tu n’avais pas prévu de plan B, tu es pris au dépourvu. T’avales ta chips avec peine, alors que tes frères, ton père, ton grand-père et ta sœur, comme à chaque réunion de famille devant un match de foot, font l’ambiance, discutent, se disputent, gueulent et rient. Mais toi ce soir, t’as du mal à t’y faire. Tu regardes les joueurs à la télé et tu les envies de pouvoir continuer le sport qui les fait vibrer et gagner leur vie. Toi t’étais destiné à la même carrière qu’eux mais au Hockey sur glace. T’étais un jeune espoir au lycée. Mais il a fallut que ton épaule s’éclate et ne tienne pas le coup lors des nationales. Tu avais dix-huit ans, tu étais un jeune con plein de rêves. Depuis, tu es resté coincé sur la phase jeune con tout court. Alors tu les observes tous : ton grand-père qui se fait vieux mais qui aide toujours ton père à tenir sa petite épicerie ; ton grand frère – celui que tu jalouses sans doute le plus – qui réussit sa vie, directeur des projets commerciaux dans une grande entreprise ; ton petit frère, sûrement promis à un grand avenir car intelligent ; et ta sœur – trouvée, abandonnée par ses parents, dans l’hôpital peu après ta naissance par tes parents, et adoptée directement par ceux-ci ; ta sœur qui sait se débrouiller et gagner sa vie comme elle l’entend. Et toi dans le lot, sans ambition, tu n’oses plus te lancer dans de vrais projets. Parfois tu repenses à ta mère, partie trop tôt d’une maladie, et te dis, qu’elle t’aurait déjà remonté les bretelles et remit au pas. Ton père, bien qu’il soit parfois intimidant, tu ne l’écoutes pas plus que ça, têtu que tu es.

Tu sortais à peine de ta vingtième année, ça faisait déjà presque deux ans que tu étais fichu, que tu te décomposais quand tu as entendu la nouvelle. Ce gang qui se rebellait contre le sombre déjà installé. T’avais besoin d’un peu de lumière, d’une échappatoire à ton chez toi que tu aimais tant et qui te faisait suffoquer aussi, parce que trop de ton ancien toi laissé un peu partout. Sans réfléchir, tu t’y es lancé à corps perdu. T’es devenu un des vieux du gang – pourtant encore bien jeune – et tu n’es pas prêt de le quitter. Quoiqu’un jour tu seras bien obligé d’aller à l’armée, chose que tu as toujours reportée parce que ça te vexe qu’à cause de ton épaule, tu doives servir la nation aux services publics et non comme un vrai soldat. Alors tu as trouvé cette place de bon soldat – quoique pas toujours suiveur, quelque peu relativiste et j’en foutiste – au sein des Day Trotters, parce qu’au moins, tu te sens utile.