BAE JUN ☾ Garde songe. Orge d’anges.

eux

Et t'es un petit bébé. Et tu te souviens de rien. Les gens autour, tu les connais pas. Encore. Mais ils te regardent. Ils te font peur un peu, tu crois. Tu sais pas ce que c'est la peur. Parce que la peur, t'as un an, tu sais pas ce que s'est. Tu grandis. T'es plus un bébé, non, t'as quatre ans. Donc un peu quand même. Et ceux qui te regardent, tu les connais maintenant. Et tu leur souris aussi. A tes parents. Parce qu'ils te font plus aussi peur. Mais la peur, t'es pas encore sûr de savoir ce que c'est. T'es trop petit. Tu penses comprendre quand tu grandis encore, et que t'arrives à tes cinq ans. La peur. Une peur un peu plus particulière. Un dérivé de la peur. Peur de l'oubli. Peur qu'il y ait mieux. Peur d'être remplacé. A cinq ans, tu découvres la jalousie.

elle

Elle reste pas longtemps, la jalousie. T'as sept ans, elle en a que deux. Pas la jalousie. La sœur. Tu la regardes, tu la couves des yeux, tu la protèges. Surprotège. Tu grognes quand quelqu'un s'en approche. Tu découvres l'instinct de protection. Tu découvres, un peu aussi, la possessivité. T'as onze ans, elle en a six. Elle sourit, tu souris. Elle pleure, tu pleures. Elle grandit. Tu pleures. Tu demandes pourquoi elle peut pas rester un bébé. Ils rigolent. Elle boude, et te tires la langue. Et tu fais pareil. Et elle te balance un oreiller au visage. T'as seize ans, elle en a onze. Et tu lui balances un oreiller au visage. Parce qu'elle est amoureuse pour la première fois. Et que tu te moques  d'elle. Et qu'en vrai, t'es un peu envieux. Qu'elle connaisse ça.

lui

T'as vingt-et-un ans. T'as grandi, beaucoup. T'as pas changé. Tu souris, tu rigoles. Tu racontes des blagues, pas forcément drôle. Et tu souris encore. Tu te prends des coups, des fois, mais tu souris, encore un peu plus. Parce que c'est pour lui. T'as envie de lui faire comprendre. Que des coups t'arrêteront pas. Et puis t'aimes pas ses coups aussi, un peu. Et tu l'envies plus, ta sœur, d'être tombé amoureuse. Tu souris. T'as oublié que tu pouvais être envieux. Tu souris aux gens, tu souris à la vie. Et les gens t'appellent imbécile. Ou le trop heureux. Pas lui. Lui il te pousse, il te parle mal, il te frappe. Puis il te pousse, quand t'as vingt-deux ans, dans les escaliers. Et tu tombes. Et tu te casses la jambes. Mais toi étant toi, tu lui en veux pas. Sur le moment, non. Tu souris.

vous

La jambe dans le plâtre, tu souris. T'as vingt-deux ans, tu peux plus courir, alors que t'adores ça. Mais tu souris. Et tu le rencontres. Ce gars. Et il sourit aussi. Alors que lui, il a une date de péremption. Il t'appelle imbécile heureux. Il te compare à Simplet, dans les sept nains. Et tu rigoles, ta jambe cassée. Il t'aide à t'y retrouver, dans une institution où se retrouvent béquilles, chaise roulantes et chambres mortuaires. Toi, t'es la béquille. Lui la chambre mortuaire. Mais tu t'accroches à lui, et il s'accroche à toi. Et ensemble, comme des cons, vous souriez. Et tu te dis que quitte à ce qu'il meurt, autant qu'il ait quelqu'un pour se souvenir de lui, après.

toi

Tu t'es calmé. Un peu. Tu souris toujours autant. Mais tu cours plus dans tout les coins, seul, comme un Bambi trop jeune. Tu te poses sur une chaise, une table devant toi, et tu lis. Parce que t'aimes bien lire, du coup. Et des fois, ouais, tu reviens à tes douze ans. Avec ta sœur, ou avec tes amis. Des fois, oui, tu rajeunis. Mais quand même, tu t'es un peu calmé. Tu t'habilles toujours excentriquement, tu fais toujours des mauvaises blagues, et tu souris toujours tout le temps. Juste que maintenant, tu cours plus partout. Parce que maintenant, tu peux plus. Maintenant, t'as toujours le risque de te péter la jambe à chaque pirouettes. Et que t'as pas forcément envie de t'en rappeler, de la douleur.