RYU SANG MIN ☾ sucker for pain.

GUNS FOR HANDS.
Il est bientôt deux heures du matin et j'arpente les rues du centre animé de Busan. Ce qui est bien avec Busan c'est qu'elle ne dort presque jamais, il y a toujours un ou deux alcooliques qui se disputent au détour d'une rue ou des femmes de joie qui cherchent à vous attirer pour la nuit. Alors oui, ça paraît un peu sale dis comme ça et on peut ne pas aimer mais ça a son charme quand on la connaît bien—je parle de Busan évidemment. J'en ai fait ma maîtresse, la seule et unique envers laquelle je serais et resterais fidèle, celle que je protègerais de tout mon coeur et de tout mon corps.
À l'époque je n'avais pas cette même philosophie, non loin de là. J'ai toujours été quelqu'un de fondamentalement égoïste et qui ne pensais qu'à survivre mais les changements émotionnels auxquels j'ai du faire face étant jeune ont révélé la profondeur de ce que j'appelle aujourd'hui mon 'dark side'. En soi, je n'avais aucun vrai problème familial. Je viens d'une famille modeste mais qui s'en sortait avec deux enfants —mon grand-frère et moi-même. Le problème c'est que moi je n'ai jamais été un enfant apprécié par les professeurs contrairement à Tae Hwan. Ça n'a jamais créé de jalousie ou un quelconque complexe apparent mais je pense que ça m'a poussé d'une certaine façon vers ma situation actuelle. Depuis tout petit il était prédestiné à devenir médecin ou avocat, ce genre de choses qui font rêver nos parents—moi, on avait du mal à me blairer. J'étais las, impatient, j'aimais finir les choses vite et je ne supportais pas de devoir écouter mes professeurs radoter pendant des heures alors on me faisait sortir des cours, on me chassait presque—certains même m'imploraient de sortir. Et c'est comme ça que j'ai fini par sympathiser avec quelques mecs dans les rues, des mecs qui proposaient de faire des trucs illégaux contre un peu d'argent, moi je me disais que ce serait amusant, de toute façon je cherchais juste un peu d'adrénaline rien d'autre. J'ai passé une grande partie de mon adolescence comme ça, à devenir potes avec des gars louches et finalement j'ai arrêté mes études malgré l'interdiction de mes parents parce que Tae Hwan était là, il me soutenait et disait que peut-être je n'étais pas fait pour ce genre de choses, que je brillerais dans un autre domaine. Tae Hwan il est comme ça, optimiste et un peu naïf—comme moi, on partage cet idéal, cette envie de croire que tout peut s'arranger mais il avait tord.
En 2010, alors que je venais de fêter mes dix-neuf ans, mon père est mort des suites d'un cancer dont je n'étais absolument pas au courant. Je me suis senti profondément trahi par tous les membres de ma famille et j'ai quitté le domicile familial sans rien dire, un soir d'hiver, et je suis parti vivre avec ma bande d'amis louches—le genre de conneries à ne surtout pas faire. Ça faisait un an qu'on entendait parler des Night Creepers et on était des gosses curieux, en manque de sensations fortes et qui avaient sérieusement besoin d'appartenir à quelque chose, de se sentir vivants alors on s'est tous pointé un soir chez eux en demandant à les rejoindre. Au bout de semaines passées à devoir impressionner ceux qui dirigent le gang, des semaines passées à se faire défoncer la tête à coup de battes de baseball, à éviter le son des sirènes de police comme jamais auparavant, bref à s'en prendre plein la gueule sans pouvoir prononcer ne serait-ce qu'une seule syllabe, j'en suis sorti vivant et j'étais devenu un membre des NC. Malheureusement, je peux pas en dire autant de mes potes.

GET SOME AIR.
— « T'as déjà vu un mec se faire buter, Ryu? » Je le regarde avec attention, ne sachant quoi répondre. J'ai envie de lui dire que oui, j'ai envie de lui répéter tout ce que j'ai vu, lui dire que j'ai vu Min Woo se faire tabasser par un ex-taulard qui cherchait des embrouilles au Creepers et que pour faire nos preuves on devait lui faire peur—j'ai envie de lui dire que moi j'ai rien pu faire, que j'ai fini par me sauver en courant du haut de mes dix-neuf ans.
— « Haha, arrête tes conneries, je suis un ptit' gars de Busan, rien de plus. » Je ne lui dis rien parce que ça ne sert strictement à rien. On devrait même pas être réveillés à cette heure-ci. Les réveilles à l'armée c'est pas aussi drôle qu'on pourrait le penser, y'a pas d'ellipses comme dans les films hollywoodiens qui font croire qu'on a suffisamment dormi et qu'on peut se relever comme des princes. Non. Cinq heures c'est le maximum qu'on peut espérer et encore, c'est un rêve en général—un luxe même.
Ça faisait un mois que je m'étais présenté à la base militaire en clamant que je voulais faire mon service militaire. On m'avait lorgné lors du test d'aptitude physique et du contrôle qui a suivi en voyant mon tatouage et les nombreuses cicatrices que j'avais accumulé durant les trois dernières années passées aux côtés des Creepers mais on ne me posait pas de question parce que ça se voyait. Ça se voyait à mon visage que je ne voulais pas en parler ou plutôt que je ne pouvais pas en parler. Il y avait cette empreinte qu'ils avaient laissé sur moi, sur tout mon être plus que sur mon corps. J'avais délaissé toute ma vie et je m'étais sauvé, comme un lâche. C'est idiot et on peut se demander pourquoi—non, comment j'ai trouvé le courage de le faire.
Après ces trois années passées avec les NC, je m'étais rendu compte d'une chose: j'étais dans la merde. Y'a pas autre chose à dire réellement, j'étais dans la pure merde. Je m'étais pas rendu compte à quel point leurs affaires étaient pourries et à quel point ils étaient dangereux, je m'impliquais de plus en plus dans des affaires sordides où le sang coulait à flot—finalement j'étais trempé jusqu'aux os, j'étais dans un gouffre. Jusque là j'avais toujours évité de prendre les armes, de tuer qui que ce soit parce que malgré tout j'ai pas le courage de faire ce genre de choses et ils le savaient alors ils testaient mes limites—ce genre de chose qui me faisaient comprendre que j'étais qu'un pion au fond.

— « Ryu, tu rêvasses?! »
— « Non, mon lieutenant! »
— « On me la fait pas à moi, deux tours de piste et que ça saute. »
C'était devenu habituel pour moi, ça m'apprenait à me tenir à carreaux, à être plus sérieux—plus mature. Et de toute façon, ça me permettait de la voir de temps à autres en me promenant autour de la base.
Elle je ne connais toujours pas son prénom, de toute façon, elle ne connait probablement le mien qu'à travers les dossiers médicaux. C'était une infirmière qui s'était portée volontaire pour aider étant donné que la charge de travail devenait insupportable au bout d'un moment pour le staff médical. Elle savait probablement que j'appartenais aux Creepers auparavant, elle m'avait ausculter une ou deux fois et je n'avais pas le courage de lui dire que je m'en étais tiré—de toute façon, qui me croirait? Tout ça c'était grâce à Tae Hwan. Je savais pas trop comment il avait fait mais il avait réussi à prendre contact avec moi et j'ai reçu un e-mail un soir venant d'une boîte inconnue qui m'indiquait que je pouvais m'en tirer, qu'il suffisait que je fasse comme avant, "que je me tire le soir et que j'aille faire un tour du côté de chez le soldat Ryan". Il n'était pas très subtile mais c'était suffisant pour ne pas attirer les soupçons d'un quelconque autre Creeper qui aurait pu vérifier mes mails. RTH. Il avait signé et j'avais compris. Il m'a fallu une semaine pour faire un choix et je l'avais fait et je m'étais retrouvé ici.
S'il y a bien une chose qui me manque de mon service militaire c'était cette infirmière. Elle avait voulu prendre contact avec moi, échanger nos numéros— je m'étais dit que ce serait trop dangereux pour elle et puis elle ne me connaissait pas, elle ne pouvait pas me voir sous un angle négatif, je voulais qu'elle garde cette image de moi, celle d'un idéal et d'une potentielle passion inassouvie...Je sais ce que vous vous dites, je suis con? Vous avez totalement raison.

RAISE YOU LIKE A PHOENIX.
— « Rassure-moi, tu te fous de ma gueule, c'est ça? »
— « Non non, pas du tout. J'aime pas trop perdre mon temps. »
— « Mec, tu te pointes avec un tatouage des Creepers et tu t'attends à ce que je te serre dans mes bras? »
— « Ouais, c'est ça. »
Il est pas convaincu, il se dit sûrement que je suis un psychopathe ou un malade—quoique c'est un bon point si je veux rejoindre les Day Trotters. Paraît qu'ils aiment ça, l'excentricité. Là vous vous dites que j'ai pété un câble, c'est ça? Non. Imaginez le scénario suivant: un mec qui a toujours vécu au sein d'un microcosme rassurant pour lui —certes où le port d'arme et la consommation de drogues dures est presque obligatoire mais qui reste rassurant— décide de le quitter et revient au bout d'une année dans une ville qu'il ne connaît presque plus parce qu'il n'a plus ses repères. Vous saisissez? J'ai besoin d'être rassuré, j'ai besoin qu'on me dise que je suis à ma place et que je vais plus me mettre dans la merde—et puis j'ai besoin de me repentir et les DT c'est un peu ça leur crédo. Faire du bien autour d'eux et d'une manière douce donc forcément, moi j'aime ça, j'y peux rien, c'était comme un appel (à sens unique vu que visiblement, on va me prendre pour un fou). Mais ça fait une année à peine qu'ils ont démarré et avoir quelqu'un comme moi, quelqu'un qui s'y connait dans le milieu c'est un plus et ils le savent alors forcément, forcément ils me prennent et c'est là que les embrouilles vont vraiment commencer parce que les Creepers sauront sûrement à un moment ou à un autre que je suis de retour, me voir avec une nouvelle bande ça va pas trop être leur kiff mais pour l'instant je fais de mon mieux pour rester out of the radar.