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Il se sait être chez lui. Chaque fibre de son être appartient à cet endroit, comme s'il n'avait jamais été question qu'il fasse autre chose que de danser ici et il sait que son nom apporte beaucoup au club. Ces quatre murs sont les siens et pourtant, alors qu'il plonge dans les orbes sombres de son interlocuteur, il ne ressent plus la même quiétude, la même excitation, à la place une sorte d'anxiété se glisse sous sa peau, rendant ses mouvements moins fluides, plus raides. Bien sûr, il fait son possible pour garder l'air serein et détendu, une façade forte pour masquer l'étrange adrénaline du danger qui grimpe en lui, rendant déjà ses doigts incapable de se maintenir dans la moindre position, jouant avec les quelques pétales des roses qui touchent ses cuisses depuis leur perchoir sur la coiffeuse. Il ne veut pas penser que son ennemi est beau, n'a pas la moindre envie de se dire qu'en d'autres circonstances, il l'aurait approché et il aurait préféré mourir qu'admettre que ses longs doigts agiles seraient mieux sur sa peau qu'à se saisir de la carte malsaine, mais maintenant qu'il le voit de face, difficile de nier l'évidence. .

« Ce genre d'intérêt ne m'est pas étranger. Et il ne me répugne pas... C'est le désir humain que de vouloir posséder un corps. C'est simplement que je ne suis pas à vendre. Surtout pas pour un bouquet de roses. » Son ego était-il surdimensionné ? A dire vrai, Minpyo était EXACTEMENT de ceux qu'on séduisait avec un bouquet de roses, mais il ne connaissait rien de son admirateur et ce cadeau, outre son extrême beauté et délicatesse (mettant de côté l'attaché obscène), ne mettait pas vraiment son cœur en émoi. Un sourire esquisse ses lèvres avant qu'il n'éclate d'un rire chaud comme le soleil, clairement naturel. « Moi ?! Chez les Night Creepers ? Je vois que finalement tu ne sais pas à qui tu t'adresses. Je suis simplement accro à la sensation que procure ce travail. Et la paie est bonne. »

Il ne ment pas, les regards braqués sur lui, attendant toujours plus, son nom, crié pour couvrir la musique, l'appelant dans l'espoir qu'il daigne leur offrir un regard langoureux et tout ce désir dirigé directement sur sa personne, il ne pourrait jamais se passer de ce travail. Et puis ça n'était pas sa paie au comptoir de glaces qui allait régler les factures pour son appart. Doucement il se lève, clairement plus petit que son interlocuteur bien que cette différence de tailles lui semble confortable un instant, et il observe ses lèvres. « MinHyun hein ? Ca me dit vaguement quelque chose. De toute façon, tu ne peux rien faire contre moi, tu es quoi ? Juste un membre ? » Comme si sa position n'était pas déjà assez délicate, sa propension à se fourrer dans des cas désespérés venait se mêler de ses affaires et il s'enfonçait à une vitesse vertigineuse. « Et puis le club n'est pas à vous que je sache, le propriétaire a vu mon tatouage pendant l’entretient et il n'a rien dit. »

Sans avoir la moindre idée des conséquences possibles de ses actes, il passe près de lui, le dépassant pour prendre un verre qui ferait office de vase de fortune dans un coin, le remplissant d'eau pour ensuite revenir et s'occuper des fleurs, se débarrassant de la carte d'un mouvement bref, l'envoyant directement dans la corbeille pleine de cotons imbibés d'une mixture de maquillage et de lotion démaquillante. Et le bouquet à tôt fait de trôner sur le bord de la coiffeuse à nouveau, désormais plus majestueux. Ses doigts se glissent alors sur ses cotes pour effleurer l'encre depuis longtemps sèche sous sa peau d'or. « Et je devrais déjà avoir fini de me préparer d'ailleurs. Je serai sur scène dans un peu plus d'une demie heure alors si tu voulais... Lever le camp ? »  Il savait pertinemment que la nuit était en elle même le territoire des Night Creepers et qu'il n'avait pas le droit de lui demander, surtout de cette façon, de bouger, mais une étrange assurance avait pris possession de sa bouche soudain.

La musique est envahissante, entêtante, les lumières l'aveuglent et le rendent inapte à se déplacer sans avoir une hésitation quant au fait de savoir s'il parviendra à bon port sans se heurter à un million d'autres danseurs et la chaleur n'arrange rien. Il sera bientôt deux heures cependant et il a assez fait la fête comme ça, ses prestations ne sont pas celles que l'on sort d'un chapeau, tout est millimétré, pensé, ressenti, et pour cela, une longue préparation est nécessaire. Et enfin, le calme enrobe à nouveau Minpyo, assourdissant alors que ses oreilles sifflent encore des décibels qui font trembler les murs adjacents, mais il se laisse bercer par cette ambiance de pré-show, celle qui le rend à la fois terriblement calme mais horriblement fébrile. Il n'y a là rien d'exceptionnel, une penderie improvisée, un canapé, une coiffeuse avec un miroir gigantesque et une petite salle d'eau adjacente, mais c'est SA loge, celle qu'il a remporté bec et ongles au prix de nombreuses représentations plus inspirées les unes que les autres. Et il s'engouffre dans sa douche sans un remord pour refroidir son corps que les quelques heures au milieu des clients du club sont parvenues à ébouillanter, laissant la caresse des gouttes d'eau calmer doucement les battements de son cœur impatient.

A l'image d'un enfant, il était loin d'être ce qu'on aurait pu attendre du danseur de charme qui s'exposait souvent sur la scène principale, seule son enveloppe charnelle demeurait inchangée lorsqu'il quittait les planches, comme si son âme se séparait en deux parties d'un tout. D'une longue foulée, il quitta finalement la douche, s'enroulant dans un large peignoir et le laissant boire doucement les gouttes de sa peau tandis qu'il s'attelle au maquillage de son visage, une touche ici, une autre là, juste de quoi rehausser ses yeux légèrement, les rendant plus intenses encore. Doucement, alors que les traits de crayon viennent souligner ses paupières, rendant ses cils à peine plus longs, il sent que c'est le danseur qui prend le pas sur l'enfant en lui, le Day trotter que ses amis avaient appris à voir rire pour rien glisse doucement dans les chaussures de l'oiseau de nuit qu'il cache avec tant de brio. Abandonnant son vêtement de fortune au profit d'un pantalon adéquat pour sa prestation, Ilios s’apprête à entamer le camouflage de son tatouage lorsque la porte s'ouvre sur un bouquet de roses et il le suit des yeux, l'enfant en lui faisant un saut jusque dans ses yeux, leur rendant un éclat totalement extatique. Il s'en saisit à peine est-il posé sur la coiffeuse et plonge son nez dans les soyeuses pétales.

« Hm... Elles sont... » Mais ses mots s'évanouissent au creux de sa gorge et il lève le regard sur le miroir pour observer le livreur, moins franc, heureux et insouciant soudain.  Difficile de dire au premier abord si cet homme est ami ou ennemi avec son joli visage gracié de traits presque angéliques. « Tout endroit est le genre de lieu pour un Day trotter, seulement s'il le veut. On dirait que tu pars avec une longueur d'avance puisque je ne connais pas ton nom. » C'était frustrant, se retrouver dans le siège de la victime, de la proie, se savoir impuissant mais avoir envie, du plus profond de ses tripes. Le bouquet retrouve la surface froide de la coiffeuse assez vite et il s'en détourne. « Quel cadeau empoisonné, je me serais passé de l'attaché. » Garder la tête haute était sûrement un choix complètement idiot, effroyablement stupide même, et au travers de la glace, il maintenait le contact visuel avec son adversaire.